Premier ancien communiste à avoir gouverné l'Italie (il fut président du Conseil en 1998 puis en 2000), Massimo d'Alema préside la Fondation de culture politique Italianieuropei, le think-tank du Parti Démocrate. Alors que le Parlement a intronisé cette semaine Enrico Letta, le nouveau chef du gouvernement de centre-gauche, Massimo d’Alema commente les difficultés de la gauche italienne, ses relations avec François Hollande et s’en prend vivement à la vision d’Angela Merkel.
Quelles sont désormais les priorités de la gauche italienne?
Nous sommes dans une situation politique très difficile. Le résultat des élections est paralysant pour le pays, et le refus du Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo de s’engager a rendu inévitable un gouvernement de collaboration avec le centre-droit. Collaborer avec le centre droit en Italie ce n’est pas normal comme en Allemagne. C’est plus problématique à cause de la nature du centre-droit, à cause des conflits passés, de la présence d’une personnalité comme Berlusconi… Le moment est très difficile. Il y a deux priorités pour ce gouvernement que nous dirons "de convergence nationale". Une série de réformes du système politique pour restaurer la crédibilité de la politique : réforme de la loi électorale, réforme constitutionnelle pour réduire le nombre des parlementaires, simplification de la vie démocratique. Certains proposent d’adopter le modèle français! Il nous faut aussi une loi sur les partis qui garantisse plus de transparence, lutter contre la corruption et revoir le financement des partis. L’autre priorité, tout aussi importante pour nous, c’est la relance de l’économie et de l’emploi. Là aussi existe une certaine convergence avec la droite, très critique à l’égard des politiques d’austérité de l’Union européenne. Donc il faut trouver un autre équilibre entre l’assainissement des comptes publics et l’engagement pour la croissance.
La France est-elle un bon allié de l’Italie en Europe?
Il est indiscutable que le gouvernement de François Hollande, dès son élection et par la suite, a fait de cette réorientation des politiques européennes vers la croissance et l’emploi une priorité. Une idée dont nous avions d’ailleurs discuté et que nous avions lancée ensemble au Cirque d’Hiver, pendant la campagne électorale. A cet égard la rencontre du 1er mai entre le Premier ministre Enrico Letta et le président Hollande a confirmé cette forte convergence de volontés de pousser vers une réorientation des politiques européennes.
En France le gouvernement semble avoir placé au premier plan de son action des thèmes de société comme le mariage pour le tous. On ne peut pas dire la même chose de la gauche italienne…
Nous avions des projets, mais il est forcément très difficile de les partager dans un gouvernement comme celui que nous avons. Nous voulions reconnaître les droits des "couples de fait", comme on dit chez nous… Le modèle que nous avions proposé pendant la campagne électorale n’était pas vraiment celui du mariage, c’était une union civile comme en Allemagne. Nous sommes évidemment convaincus que ces droits sont fondamentaux. Le problème est que, pour l’instant, nous n’avons pas la majorité. Mais je pense que ce sont des thèmes qui font partie des questions gouvernementales et nous lancerons donc certainement notre initiative au Parlement, en espérant que les élus de Beppe Grillo voudront bien collaborer, au moins sur ces thèmes-là!
En France, comme en Italie, une partie de la gauche à tendance à considérer l’Allemagne comme une ennemie de l’Europe. Or il est impossible de faire l’Union européenne sans l’Allemagne. Qu’en pensez-vous?
Je ne considère pas l’Allemagne comme une ennemie de la construction européenne. L’Allemagne a toujours été très européiste. Il est évident qu’on ne fait pas l’Europe sans elle. Je ne crois pas utile de cultiver un esprit anti-allemand qui d’ailleurs est en train de se répandre en Europe du Sud… La politique de Mme Merkel est mauvaise, peu courageuse. Ce sont les économistes allemands qui ont proposé l’idée du fonds européen de "rédemption" de la dette (un fonds de solidarité, Ndlr). Ce n’était pas une idée grecque ou portugaise! Mais le gouvernement allemand l’a laissé tomber. C’est pareil à propos d’une interprétation plus souple du pacte de stabilité et d’un programme d’investissements, sur l’équilibre budgétaire de l’U.E., les réductions des fonds pour la recherche et l’innovation par exemple… Tous ces choix sont de mauvais choix politiques. Je ne conteste pas l’Allemagne en tant que telle, mais je conteste les politiques néo-liberales conservatrices. Elles ont aussi leurs opposants en Allemagne…
Ce n’est donc pas l’Allemagne que vous montrez du doigt…
Ce n’est pas un conflit entre Europe du sud et Allemagne, c’est un conflit entre progressistes et conservateurs, entre ceux qui pensent qu’il faut seulement faire de l’austérité et ceux qui pensent qu’il faut promouvoir un nouveau pacte social pour l’Europe. Regardez le dernier livre de Ulrich Beck, il est très critique à l’égard de l’Allemagne! Il critique précisément la prétention de faire une Europe allemande et préconise au contraire une Allemagne européenne. Un vieux slogan qu’avait relancé Helmut Schmidt au SPD. Il cite Habermas qui dénonce (en parlant de son pays, l’Allemagne) une politique faite à vue sans boussole, une classe politique qui n’est attentive qu’aux médias. Un pays où il manque un grand projet pour l’unification de l’Europe. Vous voyez, j’ai critiqué la politique conservatrice allemande en ne citant que des auteurs allemands. Je ne suis pas anti-allemand!
Dans un an il faudra renouveler le parlement européen. Comment fera la gauche européenne pour se présenter avec une identité commune? Elle a l’air tellement divisée aujourd’hui …
La gauche n’est pas si désunie. Elle est en difficulté pour tout un tas de raisons. Parce qu’elle est coincée par un sentiment populiste, de protestation, qui nous attaque aussi parce que nous sommes considérés comme co-responsables d’une Europe technocratique, de cette Europe éloignée des citoyens. Nous sommes en difficulté un peu dans tous les pays. En Italie, la montée de Grillo nous a pris un peu de voix ; en Grèce le Pasok e été pratiquement marginalisé par une nouvelle gauche populiste et anti-européenne… Le risque existe. Mais la gauche réformiste est unie pour faire deux choses : changer les politiques européennes et mettre plus de politique dans la vie des institutions européennes. Pour les élections européennes, nous projetons un programme commun et la désignation d’un candidat commun à la présidence de la commission. Nous voulons que l’U.E. ne soit plus seulement une rencontre entre gouvernements mais aussi une vraie bataille politique progressiste, avec une vision alternative à celle des conservateurs. Entre le populisme eurosceptique grandissant et la vision technocratique conservatrice qui prévaut pour l’instant, nous constituons une troisième option : une force européiste qui veut changer l’Europe. Sans quoi l’Europe perdra toute crédibilité auprès des citoyens.