Les sociaux-démocrates sont déchirés entre leur soutien à une politique européenne en grande partie dominée par la droite allemande et la vogue des partis de la gauche radicale comme Podemos ou Syriza. « La gauche sociale-démocrate devrait être celle qui veut changer l’Europe. Si elle se présente seulement comme l’une des parties d’une coalition qui veut, au contraire, préserver le statu quo, elle aura perdu », diagnostique Massimo d’Alema, dans un entretien au Monde. L’ancien premier ministre et ministre italien des affaires étrangères préside aujourd’hui la Foundation for European Progressive Studies (FEPS), un centre de réflexion établi à Bruxelles, « boîte à idées » pour les socialistes européens. « Notre coopération avec les conservateurs du PPE est obligatoire, mais nous devons préserver notre identité, parler clairement, dire jusqu’où on peut aller », affirme l’ex-dirigeant italien.
La Commission et l’Union européennes sont, de fait, dirigées par une coalition entre les conservateurs du Parti populaire européen et les sociaux-démocrates. Avec une gauche soumise à l’hégémonie de la droite et en panne de leadership. François Hollande est intervenu dans le dossier grec pour éviter ce que des socialistes présentaient comme un désastre mais ni lui ni le président du conseil italien, Matteo Renzi, ne parviennent à remettre en cause le dogme de l’austérité et du pacte de stabilité, cette « stupide norme arithmétique » selon Romani Prodi, ancien président de la Commission de Bruxelles. Un social-démocrate néerlandais, Jeroen Dijsselbloem, dirige l’Eurogroupe, mais il ne songe pas une seconde à dévier de la ligne de la rigueur fixée par Berlin.
« L’épisode grec a pourtant été un signal d’alarme, analyse M. d’Alema. Il a montré que les vrais problèmes de ce pays étaient le soutien à la croissance, l’investissement et la compétitivité. Réformer son système de retraites ou assurer la transparence de ses statistiques était nécessaire, mais ajouter la flexibilité du marché du travail et les privatisations à l’austérité ne peut tout simplement pas marcher ! »
L’Allemagne, « belle-mère sévère »
L’ancien premier ministre souligne la nécessité urgente de relancer, au niveau européen, l’investissement, au-delà du plan Juncker, qui compte sur des capitaux privés : « Il faudra aussi de l’argent public pour des programmes d’infrastructures, d’innovation et de recherche. Sans cela, on n’y arrivera pas. »
La gauche a quand même obtenu, à Bruxelles, une certaine « flexibilité » dans le respect des critères budgétaires par les différents Etats. « Bien, mais insuffisant », diagnostique le président de la FEPS. Qui prie Jean-Claude Juncker de se soucier en urgence de la relance de la consommation intérieure, condition sine qua non de la croissance, selon lui. L’appel vaut aussi pour l’Allemagne, cette « belle-mère sévère » qui, dit-il, devrait plutôt être « à la hauteur de son rôle de leader en se montrant généreuse et consensuelle ».
Autres priorités, selon M. d’Alema : la lutte contre les inégalités – « la concentration des avoirs entre quelques mains ne sert à rien » – et une politique européenne de la dette. Car s’il faudra obligatoirement dégager des marges pour la Grèce en restructurant sa dette, il faudra aussi y songer pour d’autres Etats. Et peut-être même pour tous ceux où la dette dépasse 60 % du produit intérieur – comme l’avait suggéré naguère une structure consultative du gouvernement… allemand.
Pour cet ancien membre de L’Olivier italien, la gauche sociale-démocrate doit coopérer avec la gauche radicale. L’exemple à suivre est celui du PSOE espagnol, qui soutient les maires Podemos de Madrid et Barcelone. « Un choix courageux. » Quant à la Grèce, il faut considérer le fait qu’Alexis Tsipras n’est pas antieuropéen, souligne M. d’Alema. « Différents populismes sont à l’œuvre, mais n’oublions pas que certains consistent aussi en une révolte citoyenne contre des élites défaillantes. »